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Moins de construction, plus d’architecture
Qui aurait imaginé à l’aube du XXIe siècle que ce soient les architectes eux-mêmes qui prôneraient un jour l’arrêt des constructions comme remède ultime à l’effondrement des ressources et à la crise climatique ? Mais soyons plus précis : il s’agit moins de ne plus construire que d’arrêter de détruire des terres encore non artificialisées ou des bâtiments existants pour ériger des bâtiments neufs. Précisons également que cette injonction s’adresse d’abord aux régions du monde dont la démographie est relativement stable : les pays riches. Certes, la France subit elle aussi une forme de crise du logement, mais contrairement à ce que tentent désespérément de nous faire croire les lobbies du BTP et de l’immobilier, la pénurie – réelle – d’habitations immédiatement disponibles est due à d’autres facteurs : une mauvaise répartition territoriale due à l’hyper-métropolisation, et à la vacance ou à la sous-occupation de trop nombreux logements.
Un temps, nous avons cru qu’en passant aux matériaux biosourcés et aux énergies renouvelables nous pourrions continuer comme avant. Or, si le développement de leur usage s’impose comme un impératif majeur, on sait maintenant qu’il ne suffira pas, loin de là, à décarboner suffisamment1. Alors que faire ? Sommes-nous condamnés à nous entasser dans des appartements communautaires ? à dresser des yourtes ? à attendre une meilleure répartition territoriale des activités économiques – et donc de l’offre de logements –, c’est-à-dire au minimum plusieurs décennies ? Les architectes vont-ils devenir inutiles ?
Non, au contraire ; cette révolution peut être une formidable opportunité pour refonder et légitimer le rôle de l’architecture et pour rendre nos paysages urbains et ruraux plus beaux et plus habitables. Car il ne s’agit pas de ne rien faire, il s’agit de faire autrement, en privilégiant la transformation du patrimoine existant, surtout le plus ordinaire. À l’opposé des bâtiments qui naissent comme des clones sur les pseudo-écoquartiers de nos banlieues et que l’intelligence artificielle peut déjà concevoir sans les architectes, la régénération de l’existant exige un immense savoir-faire et une stratégie contextuelle fine propre à chaque cas : la capacité d’établir un diagnostic savant et précis, autant en termes techniques qu’humains, et l’intelligence d’adaptation de la conception à la livraison du projet. Enquêter, dialoguer, projeter, s’adapter : qui d’autre que l’architecte serait mieux à même d’orchestrer ces compétences ? Mais la mise en œuvre de ces savoirs dans l’existant exige, à mètre carré égal, beaucoup plus de temps d’étude. Or, les budgets au mètre carré de ces opérations sont souvent inférieurs. Cet engagement vertueux – dans la mesure où il épargne le coût des démolitions et conduit à consommer moins de ressources – ne devrait-il donc pas être rémunéré à l’aune des économies qu’il génère ? Arrêter de construire pourrait ainsi paradoxalement offrir plus de travail aux ingénieurs et aux architectes : déconsommation n’est pas forcément décroissance. Faisons de l’intelligence architecturale l’une des plus puissantes énergies renouvelables.
Emmanuel Caille
LEGENDE COUV
En couverture : détail du dessin ci-contre tiré de Compulsion, le dernier album de François Schuiten, sur un scénario d’Adam Roberts et publié chez Dargaud en novembre 2024 (lire notre critique p. xx). Avec l’aimable autorisation de l’auteur.
SOMMAIRE :
MAGAZINE
4 > Prix d’architectures 10+1 2024
9 > Le dessin de Martin Étienne
10 > PARCOURS
Wim Cuyvers, l’échappée
20 > POINT DE VUE
Non, Notre-Dame de Paris n’est pas une pièce montée
24 > RAZZLE DAZZLE
Genius loci
30 > PHOTOGRAPHIE
Jeremy Edwards, l’art d’accommoder les restes
38 >LE GRAND ENTRETIEN
L’art de bâtir les forteresses, entretien avec Philippe Prost
48 > CONCOURS
Concours pour la construction de la Médiathèque centrale de l’agglomération de Carcassonne
DOSSIER
FAUT-IL ARRÊTER DE CONSTRUIRE ?
62 > Face aux limites planétaires, en finir avec la construction neuve irraisonnée
68 > « Arrêter de construire ne signifie pas ne rien faire », entretien avec Charlotte Malterre-Barthes
72 > Face à son obsolescence, trois scénarios pour l’architecture, par Mathias Rollot
78 > Chronique d’un concours ordinaire à Tourcoing
82 > « L’art d’accommoder les restes » : l’Autre Soie, Villeurbanne
92 > Au-delà d’une simple rénovation thermique : la Cité universitaire Chanzy, Nantes
98 > Réactiver le patrimoine ordinaire : la Petite Gare, Rezé
102 > Faire de la norme un dispositif architectural : le 206 Lafayette, Paris
GUIDE
112 > LIVRES 2024
La sélection de la rédaction
132 > D’A LAB
Sustainable screen
141 > TECHNIQUES
Éclairer selon les usages
146 > DOSSIER : CLASSEMENT PAR CHIFFRE D’AFFAIRES DES AGENCES D’ARCHITECTURE FRANÇAISES (au CA > à 1 million d’euros)
« Passer de l’aménagement au ménagement du territoire », entretien avec Olivier Celnik, cofondateur de l’agence Z.STUDIO et élu au CNOA
Entre les pages 177 et 178, Publi-rédactionnel : L’ANNUEL 2024 DES AGENCES D’ARCHITECTURE
179 > AGENDA
186 > QUÈSACO ?
>Prochain numéro de d’architectures, n° 323, février-mars 2025
En couverture : détail d’une planche (voir la planche dans son intégralité p. 3) tiré de Compulsion, le dernier album de François Schuiten, sur un scénario d’Adam Roberts et publié chez Dargaud en novembre 2024 (lire notre critique de l’album p. 113).
Avec l’aimable autorisation de l’auteur.