Pierre Mansat, chargé de la Métropole du Grand Paris auprès de la maire de Paris, était présent à l’inauguration du sentier de street art, dans le sud parisien (cf. DIF 1304), en juin dernier. Quel regard porte celui qui, depuis des années, s’implique dans les problématiques métropolitaines ? Il livre à Décideurs d’Ile-de-France son point de vue sur la place de la culture dans ce Grand Paris en création ; en particulier sur la façon dont l’initiative artistique permet de casser les frontières territoriales.
Décideurs d’Ile-de-France : Un projet comme le sentier du street art peut-il créer de la porosité entre Paris et les communes limitrophes, voire incarner un territoire ?
Pierre Mansat : C’est par lui-même que le projet ignore les frontières communales, il essaie de s’affranchir des barrières physiques importantes : le périph’, l’autoroute, le chemin de fer, les ensembles immobiliers… Ici, nous sommes clairement dans de la dentelle ! Ce n’est pas à l’échelon de la métropole, mais si nous faisions de la dentelle un peu partout, ce serait absolument extraordinaire. Et puis, cela permet aussi de fédérer les acteurs : les villes de Gentilly, d’Arcueil, de Vitry, la mairie du 13e arrondissement.
Même s’il est difficile de déconstruire des représentations aussi puissantes que Paris en tant que polarité principale, le rapport Paris/banlieues, le périphérique… Il faut commencer à raconter une autre histoire qui est celle du vivre ensemble à une échelle plus large que celle de la commune. Pour ce faire, les créations artistiques et culturelles sont extrêmement utiles. Elles interpellent chacun dans ce qu’il a de plus profond et sont aussi très populaires. Nous constatons déjà l’engouement autour des marches urbaines. Il y a un appétit pour s’imprégner profondément des territoires, même quand on n’y habite pas. Cela fait un moment déjà que Vianney Delourme, un des initiateurs (Enlarge your Paris, ndlr) du projet, m’avait parlé de ce sentier, je l’ai beaucoup encouragé à le présenter dans le cadre du budget participatif. Je n’ai pas eu un rôle plus important que ça ; j’ai participé à la promenade inaugurale parce que d’abord ça m’intéresse, et puis je pensais qu’il fallait qu’un représentant de la Ville de Paris y participe.
DIF : Plus largement, quelle est la place de la culture dans le Grand Paris ?
PM : Les métropoles sont des lieux où l’ampleur des échanges et du mouvement est considérable, et personne ne vit plus uniquement dans son propre territoire, même si le lieu habité reste absolument décisif. Faire métropole, c’est prendre conscience de cette transformation : ce n’est plus la ville d’avant, c’est un territoire où les polarités sont fortes, les inégalités importantes, et les opportunités exceptionnelles. Et pour que tout ça fonctionne, il semble assez évident qu’il faut introduire – réintroduire -, la dimension culturelle. La culture dans cette métropole parisienne est d’une grande intensité par le nombre de lieux, de cinémas, de théâtres, de salles, d’initiatives, de festivals… C’est incroyable ce qu’il se passe ici ! Mais il faut, politiquement sans doute, la porter davantage, favoriser toujours plus les échanges et l’interconnexion. La porter comme une valeur. Jusqu’alors, la métropole s’est un peu faite sans les habitants, sans que la décision publique soit décisive. C’est un peu le marché qui a fait, qui a organisé tout ça, parce qu’il n’y avait pas de niveau politique permettant de poser les bonnes questions, d’essayer de promouvoir les bonnes réponses à la bonne échelle. De mon côté, je soutiens beaucoup Danielle Prémel, la vice-présidente de la Métropole chargée de la culture, parce que je pense que, comme la question du récit métropolitain qui est évidemment étroitement liée, ce sont des déclencheurs et des valeurs qui sont essentiels pour faire métropole, et, in fine, améliorer la vie des gens. La culture est nécessaire dans cette amélioration.
DIF : A cet égard, la marque "Grand Paris" a-t-elle du sens pour les citoyens ? Ou ne répond-elle qu’à des enjeux institutionnels et économiques ?
PM : Le Grand Paris, chacun le ressent à partir de sa propre pratique, touristique, familiale, amicale, commerciale, professionnelle… Chacun peut apporter sa propre vision du Grand Paris. Il ne faut surtout pas se focaliser sur les questions institutionnelles. Mais il y a un défi quand même : prendre conscience que la ville a changé profondément. Je cite toujours les mêmes exemples mais dans certaines villes de cette métropole, il y a plus de monde en journée qu’il n’y a d’habitants le soir. Cela interroge beaucoup les élus qui, jusqu’à présent, ne se souciaient que des habitants. Quels services développer en direction des gens qui vivent la ville sept ou huit heures par jour ?
DIF : Le sentier du street art vise d’abord les métropolitains, et non les touristes. Or, la démarche n’a-t-elle vraiment rien à voir avec du marketing territorial ?
PM : Compte tenu de la nature du sujet, nous en sommes un peu loin, mais il y aura une part de marketing territorial, et ce même si la Ville n’en fait pas un argument commercial. A Vitry, cela fait 40 ans ou 50 ans qu’une politique culturelle est menée dans l’espace public : des statues, des œuvres d’art… ça vient de très très loin. Les gens viennent du monde entier pour voir le street art de la commune.
DIF : Les habitants étaient-ils nombreux à l’inauguration ?
PM : Il y avait bien des associations, les adjoints aux maires, les fonctionnaires territoriaux et quelques Parisiens je crois… Mais les riverains n’étaient pas ou peu présents. Pourtant, dans les quartiers traversés, il y a de quoi faire.
DIF : Comment associer davantage les populations locales à ce type de démarche ?
PM : Je crois que les habitants en général sont très fiers de montrer l’endroit où ils vivent, l’originalité, la singularité de leur quartier, leur rue, leur territoire. Et c’est ça l’esprit d’Enlarge Your Paris : créer des événements qui rassemblent. Pas seulement livrer un produit clé-en-main. Ce n’est pas juste marcher et regarder, ça va plus loin. Ensuite, faire revenir les habitants dans le processus décisionnaire, c’est une autre affaire. Dans le cas du projet métropolitain, on parle de millions d’habitants ; je pense qu’il faudrait vraiment que tous les échelons dégagent des moyens, du temps, des initiatives pour informer. Faire de l’éducation populaire pour comprendre ce qu’est cette métropole, que les gens la voient, se l’approprient. Nous ne sommes plus dans le Paris des années 60 ou 70. Ni dans les banlieues des années 60 ou 70. Avant, le territoire était prioritaire. Aujourd’hui, beaucoup de chercheurs, d’universitaires défendent ce qu’il se passe entre les territoires. En France, on sait administrer un territoire. En revanche, ce qu’on ne sait pas faire, c’est le lien entre ces territoires. Pour y remédier, il faut de l’initiative locale très ancrée, profiter des outils numériques pour toucher très rapidement beaucoup plus de monde. C’est l’exemple du budget participatif : avec le numérique, le nombre de participants a explosé. A l’échelle métropolitaine, on pourrait tout à fait concevoir ça. Mais là, on se heurte à des conceptions politiques très différentes. Il y a des courants politiques qui n’ont pas très envie de voir les citoyens prendre part aux décisions. Et pourtant les gens ont envie de participer. On voit bien qu’il y a un foisonnement dans la société, et à la fois, une défiance évidemment très forte. Un exemple, même modeste, à l’égard du Grand Paris et de ses 7 millions d’habitants : la consultation publique sur le Grand Paris Express a réuni 15 ou 16 000 personnes, ce qui était exceptionnel pour une enquête publique.
DIF : A cet égard, la participation citoyenne est-elle possible à une si grande échelle ?
PM : Cela revient à se poser la même question à l’échelon national. Il faut du contrôle, il faut des compte-rendus de mandat, il faut de l’information. On peut imaginer quelque chose, mais il faudrait vraiment y mettre les moyens, une volonté politique forte pour que ça fonctionne à l’échelle du Grand Paris.
DIF : S’agissant de ces fameux interstices entre les territoires : la réflexion sur leur sort a-t-elle était engagée ?
PM : Nous avons publié une étude sur le sujet : "Le Grand Paris produit-il des effets frontières ?" (IAU, Apur, Forum métropolitain, ndlr). Il y a des frontières partout, créant des lieux moins gérés, où s’installent des déchetteries, des stations de lavage. C’est vrai entre Paris et ses voisines, mais c’est aussi le cas entre les communes. C’est là que la création d’une instance métropolitaine, la Métropole du Grand Paris, prend tout son sens parce qu’elle permet justement de poser ces questions. Ces questions du lien, de l’interstice, des flux, des échanges dépassent largement la question bilatérale entre communes.
En outre, de nombreux projets de lien, de franchissement sont en cours de développement entre la capitale et les communes limitrophes. La question commence à être posée à grande échelle, mais nous en sommes qu’au début.