Audace, innovation, design : les membres de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) se sont "oxygéné" l’esprit, au cours de leur rencontre annuelle, tout en réaffirmant leur position majeure dans la fabrication des territoires.
Longtemps à l’écart des échanges professionnels, l’agence de développement et d’urbanisme de Lille-Métropole a fait son retour dans le circuit cet automne. En tant que tête du réseau des huit agences des Hauts-de-France, et en partenariat avec sa voisine de Dunkerque, elle a organisé la 39e rencontre de la Fnau, du 7 au 9 novembre. Le choix du thème s’imposait alors que la métropole nordiste sera bientôt capitale mondiale du design : "De l’audace pour les territoires".
Loin d’être cantonné à la fabrication d’objets, le design a été traité au fil des débats comme un exercice majeur de conception de politiques publiques : une "machine à poser des questions", selon Alok Nandi, président d’une association de designers, et à chercher des solutions (pas seulement technologiques) pour vivre mieux dans une société apaisée, "plus joyeuse". Pierre Giorgini, président-recteur de l’Université catholique de Lille, n’a pas eu peur des grands mots : c’est un moyen, parmi d’autres, de parer à "l’effondrement de l’humanité". Dans le champ de la ville, le philosophe Bernard Stiegler a décrit une "troisième révolution urbaine", conduite par la Chine et la Silicon Valley, "qui nous laisse démunis". Constat partagé par Stéphane Vincent, délégué général du think tank "La 27ème Région" : il manque sur le terrain "un système de recherche-développement", susceptible de régénérer les politiques qui ne marchent pas.
Le design peut-il donc remplir cet office ? Les exemples évoqués au cours des trois journées ont parfois étonné l’auditoire. La designer Marie Coirié intervient dans des hôpitaux psychiatriques pour améliorer la qualité de vie des patients et des professionnels. "Nous essayons d’inverser le paradigme selon lequel la personne en soin, par nature fragile, doit s’adapter à un système rigide". La ville de San Francisco a créé un poste de "chief designer officer" ; Frédérique Seels, vice-présidente de la métropole lilloise chargée de l’économie, rêve que l’EPCI nordiste fasse de même. A Boston, fonctionne un "failure department", un bureau des échecs, dédié à l’expérimentation, rapporte Chloé Voisin-Bormuth, responsable des études à "La fabrique de la Cité".
Le projet plutôt que la procédure
Pour Patrice Vergriete, maire (DVG) et président de la communauté urbaine de Dunkerque, le temps n’est plus à "l’innovation incrémentale", palier par palier ; la réduction des marges de manœuvre des élus les contraint (ou les invite) à provoquer des ruptures, telle la gratuité des transports collectifs mise en œuvre dans son agglomération. "Quand quelqu’un emploie l’expression 'par principe’, c’est qu’il y a matière à inventer", insiste-t-il. Cet esprit doit prévaloir jusque dans les domaines "chiants", pour reprendre le mot de Stéphane Vincent : ceux de la planification, des marchés publics, des appels d’offres. Les agences d’urbanisme ont cette capacité de recul, cette faculté de "mettre de l’imaginaire dans la vie de demain et dans celle d’aujourd’hui", ont affirmé, parmi beaucoup d’autres, les sénateurs Sonia de la Provôté (UDI) et Marc-Philippe Daubresse (LR). Elles sont des "tiers de confiance", formule gagnante de cette 39e rencontre.
La future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) n’a pas vocation à les remplacer, certifie Serge Morvan, commissaire général chargé de sa préfiguration, en réponse à une petite provocation de l’animateur des tables rondes. Au contraire, elle travaillera avec elles, renonçant à la "verticalité descendante" pour prendre en compte l’émergence de nouveaux acteurs. Julien Denormandie, ministre de la Ville et du logement, venu conclure la manifestation, traduit : il s’agit de "privilégier le projet plutôt que la procédure" et les agences d’urbanisme sont bien placées pour le faire. Il suffit d’un peu d’audace… "Il y a peut-être trop d’urbanistes dans nos agences", risque Gilles Périlhou, qui dirige celle d’Avignon-Vaucluse. "Il faut y faire entrer de nouvelles compétences, dont des designers". Les agences "sont capables de se designer elles-mêmes", assure Jean Rottner, président de la Fnau et de la région Grand Est (LR). Elles sont des pivots non pas de la "ville intelligente", mais de la "ville des intelligences", administrative, citoyenne, économique, sociale… Et le président de lancer l’idée d’une nouvelle appellation : les agences d’urbanisme pourraient devenir "agences des innovations et de la fabrique des territoires". On en reparlera sans doute à la 40e rencontre de la fédération, qui se tiendra l’an prochain en Ile-de-France.