On invente, on dessine, on "Pariscultive" même (p.5). L’appel à projets est le nouveau bras armé des institutions pour réaménager la région. Si les sujets varient peu ou prou d’un concours à l’autre, tous affichent le même objectif : innover, dans la manière de travailler ou les modes de financement. Innover surtout dans la conception architecturale. Ces concours font donc la part belle aux architectes. Effet marketing ou réelle opportunité pour la profession ? Entretien avec Jean-Michel Daquin, président du Conseil régional de l’ordre des architectes d’IdF.
Décideurs d’Ile-de-France : Vous étiez au Pavillon Baltard pour le lancement d’"Inventons la Métropole du Grand Paris" en octobre dernier (cf. DIF 1274). Qu’attendez-vous de ce type de démarche ?
Jean-Michel Daquin : Il s’agit d’appels à projets dits "innovants". Parce que l’innovation est au cœur du métier d’architecte, on ne peut que souscrire à toute démarche qui la favorise. D’ailleurs, l’innovation ne concerne pas que les architectes, c’est une question collective, d’intérêt public même, pour que nos territoires répondent davantage aux modes de vie actuels, que l’habitat traduise au mieux la vie contemporaine. L’innovation ne peut se faire sur un coin de table. Si l’on attend de ces appels à projets qu’ils permettent aux architectes de déployer leur créativité, alors, il faut des moyens. Et être innovant même dans les procédures ! C’est de l’avenir de nos territoires dont il est question à travers ces appels à projets.
La profession est affaiblie par les contournements de la commande publique et la réduction de ses missions par les promoteurs privés. Les architectes sont de plus en plus exclus des suivis de chantiers. Or, les retours d’expérience sont indispensables si l’on veut innover. Ces appels à projets doivent notamment intégrer dans leurs jurys des experts. C’est, entre autres, ce que l’Ordre a demandé à Patrick Ollier [président de la Métropole du Grand Paris]. D’ailleurs, nous proposons de sensibiliser les architectes qui représenteront la profession à l’exercice du jury.
DIF : La question de la rémunération des architectes qui participent à ce genre de concours est récurrente. Il est là le nerf de la guerre ?
J.M.D : Quelle profession accepterait de travailler sans être rémunérée ? Effectivement, la question est soulevée, mais les échanges ne peuvent être réduits à la seule rémunération. Il faut aller plus loin, en inscrivant ces appels à projets dans une politique globale d’innovation ; on ne peut pas déléguer l’intérêt public de l’innovation uniquement aux promoteurs privés, qui ont d’autres objectifs, la vente de leurs produits notamment. Je remarque également que les bailleurs sont trop peu présents dans ce genre de concours. Ils ne sont pas assez outillés pour porter des programmes complexes. Il faudrait que ces concours donnent aux acteurs publics la possibilité d’être porteurs de projets. En ce sens, nous avions proposé à Patrick Ollier la création d’un fonds, qui donnerait aux équipes, notamment les plus petites, les moyens d’innover. Et c’est ce que propose la Caisse des dépôts, partenaire d’"Inventons la Métropole du Grand Paris", en soutenant financièrement les projets les plus innovants [à hauteur de plus de 200 M€]. Une bonne initiative qui encouragera l’expérimentation.
DIF : Justement, pour expérimenter quoi ?
J.M.D : Tout : les matériaux, les usages, les performances environnementales… Il s’agit d’apporter des valeurs nouvelles, de dépasser les standards : le "T3 de 57 m2", produit en masse, est dramatique à souhait ! Et pour ça, il faut donner les capacités nécessaires aux équipes de pouvoir expérimenter des bâtiments ou des aménagements qui dérogent à certaines règles, de sortir du cadre, en utilisant des matériaux qui n’ont pas d’avis techniques par exemple, et de pouvoir les mettre à l’épreuve du temps. On ne le fait pas assez. Ces concours devraient être enrichis de procédures d’évaluation. Autre problème : l’architecture est exclue des circuits de soutien à l’innovation. L’architecte, considéré comme un artisan ou un artiste, n’a pas suffisamment accès aux pépinières, incubateurs et autres dispositifs de soutien. Ce qui est regrettable puisque l’architecture est un métier transversal, qui agrège des disciplines différentes.
DIF : Quels changements apportent ces appels à projets pour la profession ? Et n’y en a-t-il pas trop ?
J.M.D : Depuis Réinventer Paris, nous avons passé un cap. Les collectivités comprennent que ces appels à projets doivent permettre aux architectes d’exprimer leur créativité et leur savoir-faire. A l’Ordre, nous portons une montée en compétences de tous les acteurs. Nous ne pouvons plus travailler comme avant, il faut que tout le monde se parle.
Il y a aussi un risque derrière cette multiplication d’appels à projets : masquer une nouvelle forme de cession de terrains que les collectivités ont du mal à valoriser. Et qu’ils donnent le change sur l’état réel de l’affaiblissement de la commande publique. Ce qui nous importe, c’est que la création architecturale puisse s’exercer pleinement, et dans une cohérence globale.