Le terme de résilience est actuellement en vogue dans le domaine de l’aménagement (il apparaît aussi bien dans la stratégie nationale de développement durable que dans la stratégie d’une ville comme Paris). Popularisé par la psychologie mais appliqué également dans une multitude de domaines, le terme désigne la capacité d’un système à surmonter une altération de son environnement. En l’espèce, il renvoie à l’identification de risques écologiques, économiques ou sociaux que le territoire est censé prévenir et en définitive résoudre ou dépasser. En quoi cette nouvelle approche peut-elle être fructueuse ? Nous montrerons d’abord que la notion de résilience entretient des liens étroits avec le phénomène de « métropolisation ». Dans un second temps, nous essaierons de comprendre comment elle est susceptible de renouveler la manière de concevoir et de gouverner les territoires.
La face cachée de la métropolisation : l’émergence de risques systémiques
La métropolisation tend à concentrer les populations et les richesses sur des espaces agglomérés. Elle s’intensifie en France depuis une quinzaine d’année et explique selon nous l’émergence ou l’intensification d’un certain nombre de risques.
Le refus de la densité : la question posée est celle du niveau de densité acceptable, objectivement ou subjectivement, par les populations. Force est de constater que les résistances aux projets de développement urbain s’intensifient au cours des dernières années.
La question du développement durable : l’espace disponible est de plus en plus rare. La compétition pour son affectation entre des vocations résidentielles, économiques ou écologiques s’intensifie. Les luttes générées par les méga-opérations comme Notre-Dame des Landes ou Europa City, mais aussi par des projets plus petits, montrent que les projets ne peuvent plus sous-estimer les questions de développement durable.
L’exposition aux risques industriels ou naturels : la pression foncière amène les pouvoirs publics à faire de plus en plus le pari du développement urbain en zones de risques. La transformation de sites industriels ou inondables en nouveaux quartiers d’habitat l’illustre bien.
Les fractures territoriales : le creusement des écarts entre les territoires et au sein des territoires génère des tensions entre populations. Même lorsque des secteurs historiquement « périphériques » commencent à profiter du dynamisme métropolitain, ils constatent des phénomènes de décrochage d’une partie des habitants qui ne peuvent pas accéder aux nouveaux emplois qualifiés.
Le risque sécuritaire : la conception urbaine se fait aujourd’hui sous la pression de risques extrêmes (terrorisme, émeutes urbaines) ou de plus basse intensité (délinquance, occupations illicites). Ceci concerne bien entendu les grands projets (on pense ici au réseau Grand Paris Express ou encore à l’organisation des Jeux Olympiques 2024) mais aussi les opérations de dimension plus réduite.
Les risques institutionnels et financiers : les projets urbains s’inscrivent dans un contexte institutionnel qui était déjà complexe et qui n’a pas été simplifié par les dernières réformes. Il faut y ajouter la crise des finances locales. La prise de décision s’en ressent et les engagements sont plus… volatils.
La métropolisation provoque en outre une combinaison des risques entre eux, aboutissant à un risque systémique. Enfin, au-delà des niveaux de risques « objectifs », il faut aussi prendre en compte, pour caractériser la vulnérabilité des territoires, le fait que les populations sont aujourd’hui plus intolérantes aux risques (sanitaires, écologiques…) que par le passé et qu’elles émettent plus de doutes sur la capacité des institutions à les informer et à les protéger. Dans ce contexte, l’émergence du terme de résilience dans le champ de l’aménagement apparaît comme une tentative de réponse à l’inquiétude croissante des citoyens.
Concevoir des projets résilients : vers une nouvelle approche de la gouvernance urbaine
De manière générale, la fabrique de la ville s’appuie encore très largement sur des modèles de planification assez rigides où il faut afficher ses certitudes et dans lesquels le risque est minimisé. En outre, les interventions séquentielles et en silo des différents acteurs (collectivités, aménageurs, maîtres d’oeuvre, promoteurs, constructeurs, utilisateurs…) conduisent souvent à considérer que « le risque, c’est le problème de l’autre ». Peut-on faire autrement ?
Assumer que le risque est l’affaire de tous
Il faut pouvoir assumer dès la conception du projet l’existence de risques majeurs, mesurer leur probabilité et leurs impacts, identifier ce qui rend le projet plus ou moins vulnérable, et enfin élaborer une stratégie coopérative de gestion des risques, en allant jusqu’à imaginer et négocier en amont d’éventuels recalibrages du projet (modifications de la programmation, du calendrier ou du coût).
Protection ou résilience ?
Les parties prenantes du projet doivent ensuite choisir entre protection et résilience, autrement dit entre suppression du risque et acceptation / dépassement de celui-ci. Prenons à nouveau l’exemple du risque inondation. La ville de Paris a choisi une stratégie de protection par l’endiguement. Cette option n’est pas possible à grande échelle car elle accroît l’intensité de la crue dans les territoires adjacents. Ailleurs, il faut donc imaginer des quartiers résilients qui seront un jour ou l’autre dans l’eau. Aux Ardoines, à Vitry-sur-Seine, c’est cette option qui a été retenue, notamment grâce à la mise en place de voiries réhaussées qui permettront d’évacuer et/ou de ravitailler les populations. Pour autant, ce système pose bien d’autres questions, comme la gestion des interfaces entre ville haute et ville basse. De manière générale, le choix de la résilience est donc aussi celui d’une plus grande complexité.
Impliquer les usagers en amont
Du fait de cette complexité, il est indispensable d’associer très en amont les usagers et résidents du territoire à transformer. C’est par ce changement de méthode qu’on rend le projet acceptable mais aussi efficace du point de vue de la gestion de crise. A l’inverse, les populations ne pardonneront pas la sous-estimation ou, pire, la dissimulation du risque. Pour « sortir une opération » résiliente, il faut donc renverser les modes de faire traditionnels : informer et communiquer sur les difficultés, en faire même un élément du marketing du projet.
Qui paiera la résilience ?
Cette communication inhabituelle vise aussi à faire financer le projet. Car fabriquer des projets adaptables voire réversibles est, il faut le dire, plus coûteux à court terme. C’est d’ailleurs aujourd’hui le principal obstacle à la mise en place de stratégies territoriales résilientes. L’Etat, l’Union Européenne et les Régions ont ici un rôle fondamental à jouer, en rendant visibles les coûts de la non-résilience, en montrant l’exemple comme maîtres d’ouvrage, en encourageant les territoires vertueux par des financements exceptionnels, en incitant les acteurs publics et privés de la ville à décloisonner leurs approches.
+ d’informations sur le site de Sciences Po Executive Education : https://www.sciencespo.fr/executive-education/
Et sur l’Executive Master "Gouvernance territoriale et développement urbain" : https://www.sciencespo.fr/executive-education/gouvernance-metropolitaine