Les paysagistes ne sont plus les "pendentifs des architectes", pour reprendre l’expression de feu Michel Corajoud. Désormais, ils sont mandataires. On assiste depuis plusieurs années à une montée en puissance du traitement paysager, devenu un incontournable des façons de faire le territoire, un élément structurant des projets urbains. Tendance de fond ou réponse à l’injonction environnementale ? La question a été posée à l’occasion du Forum des projets urbains, organisé par le groupe Innovapresse (éditeur d’Urbapress et de Traits urbains), le 13 novembre, au Palais des congrès de Paris.
Pour Michel Hössler, de l’agence TER, cette approche "n’est pas un simple effet de mode", puisqu’elle répond, certes, aux "thèmes environnementaux", mais correspond aussi à cet "urbanisme négocié" qui s’épanouit à travers le bottom up. Or, les paysagistes ont toujours pris l’habitude de "travailler en équipe pluridisciplinaire", souligne le Grand prix de l’urbanisme 2018. Parmi nos contemporains, les paysagistes Gilles Clément, Pierre Donadieu ou encore Bernard Lassus ont redonné ses lettres de noblesses à une discipline que l’urbanisme du 20e siècle a eu tendance à négliger.
Le paysage, en s’appuyant sur la géo-histoire d’un territoire, trouve toute sa légitimité – et son public d’élus notamment – et répond aux nouvelles formes urbaines – nées de la métropolisation en partie -, qui valorisent la grande échelle. "La vision métropolitaine donne une vraie vision", note Michel Desvigne.
"La façon dont les collectivités envisagent le projet urbain a changé", analyse Jean Badaroux, directeur général de Territoires & Développement. Selon l’aménageur, la réflexion et le contextuel, ainsi que "le grand paysage" sont devenus des préalables à la règle. Cette prise de conscience, en réponse à l’urgence climatique, "au-delà du greenwashing", tient aussi compte de l’urbanisation des populations partout dans le monde et de la recherche d’une certaine "douceur urbaine". Mais, d’après lui, "le paysage ne peut suffire" à satisfaire "la nécessité politique", celle qui doit organiser "une ville pour tous et incluante". En outre, il s’interroge sur la taille des projets : l’échelle paysagère ne trouvant pas forcément son égal urbain.
Le paysagiste ne sert pas à "déguiser la vilaine ville". Il y a une "vraie école de pensée" en France ; "le paysage ne se résout pas qu’à travers la question du végétal", il "renverse certaines logiques", revendique Michel Hössler. Il surpasse le diktat de la desserte, aujourd’hui point de départ consensuel à tout projet urbain. Il anticipe les projets de construction – bâtiments ou espaces publics – par sa dissection verticale, du traitement des sols aux strates de vie plus aériennes. La logique de territoire "va chercher bien loin dans son histoire, sa géographie, sa mémoire, ses contraintes et ses potentiels, le proche et le lointain", en passant d’une échelle à l’autre pour "qualifier les pleins et les vides", ajoute, pour sa part, Jacqueline Osty, Grand Prix national du paysage 2018.
Le projet paysager s’inscrit dans le temps long, celui du végétal, et c’est ce qui anime Michel Desvigne. Il ne s’agit pas de produire "un parc prématuré, un objet fini plus ou moins séduisant", par un "effet design". L’écriture s’installe alors dans "une gestion du temps", un devoir de "maîtrise permanente", et non "un laisser faire". Le Grand prix de l’urbanisme 2011 défend le "rudimentaire". Sobriété que prône également Jacqueline Osty, pour qui travailler le vivant suppose une certaine "modestie", voire un lâcher prise. "Le végétal nous échappe, et c’est une satisfaction".