Cinq ans après leur premier colloque, qui mettait en exergue le croissant désamour des Parisiens pour "la plus belle avenue du monde", les membres du Comité des Champs-Elysées se sont réunis au Petit Palais, le 10 avril dernier, pour cristalliser le débat. Focus sur l’émergence du plan "Réenchanter " qui amorce la mue de cette vitrine internationale.
Quelque 64 000 voitures circulent chaque jour sur les Champs-Elysées. L’envahissement automobile a transformé l’avenue en autoroute urbaine, bruyante et stressante, dont l’offre commerciale a par ailleurs énormément évolué afin de répondre aux flux touristiques. Bref, si cette ancienne promenade continue de séduire l’imaginaire collectif, les Parisiens ne reconnaissent plus "leurs Champs-Elysées". Or, il y a fort à parier que, si eux-mêmes s’en détournent, la désillusion finisse par gagner aussi bien les visiteurs étrangers que les nombreux salariés qui y travaillent.
Au fil des ans, quelques réponses ont été esquissées. Dimanches piétons, pistes cyclables, wifi gratuit, rooftops, une ébauche de programmation artistique a vu le jour entre les fontaines des frères Bouroullec et les "Tulipes" de Jeff Koons, qui fleuriront prochainement. Mais ces petites avancées manquent de cohérence et, surtout, d’ambition. Il ne s’agit plus de "préserver l’attractivité de l’avenue", explique le Comité, mais de rendre aux Champs-Elysées "la modernité et l’excellence d’un siècle qui se construit sur la correction des excès du précédent". Si l’affaire n’est pas mince, l’équipe emmenée par Jean-Noël Reinhardt, président, se montre confiante et optimiste. Une réflexion approfondie a été menée par Philippe Chiambaretta à la tête de l’agence PCA Stream sur l’espace public de l’avenue, en agrégeant les compétences d’acteurs venus de divers horizons : technologie, culture, commerce, histoire, paysagisme, gestion des flux, événementiel… Les grandes lignes de leur diagnostic ont été présentées au Petit Palais, le 10 avril dernier.
Les Champs font fuir les Parisiens
Si les Champs-Elysées restent une des artères parisiennes les plus fréquentées avec près de 100 000 piétons par jour, 53 % de ces visiteurs quotidiens sont des étrangers, 19 % des touristes français, 22 % travaillent dans le quartier, et 2 % y vivent. Seuls 4 % sont donc des flâneurs venus pour acheter ou se promener. "Touristique", "bruyante", "artificielle", "stressante" sont les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche des Parisiens interrogés. Plus du tiers d’entre eux considèrent ainsi que le qualificatif de "plus belle avenue du monde" est illégitime. "Les Champs-Elysées souffrent aussi de l’absence de réflexion sur leur identité visuelle et d’harmonisation esthétique sur des éléments tels que le mobilier urbain, la signalétique, les terrasses et contre-terrasses" rapporte PCA Stream. La dernière restructuration date en effet de 1994, avec la suppression des contre-allées.
Luxe, calme, et végétation
Pour restaurer le profil de l’avenue, le Comité propose d’abord une réduction progressive de la chaussée. La vision à terme est celle d’un passage d’une deux fois quatre voies à une deux fois deux voies, en postulant sur la diminution tendancielle du trafic automobile à Paris intramuros et l’avènement de nouvelles mobilités plus douces et plus collectives. Cette mutation devra s’opérer grâce à une gestion progressive et "dynamique" du trafic. Il s’agira de créer des voies de circulation modulables en fonction de l’heure de la journée, du jour de la semaine ou encore du moment de l’année. A cet effet, un niveau homogène sera instauré entre la chaussée et le trottoir (30 cm de hauteur séparent actuellement l’un et l’autre). Le mobilier urbain, déplaçable, fera écran aux voies de circulation. Un revêtement silencieux remplacera les pavés actuels de sorte à réduire les nuisances sonores et à permettre un traitement à la fois esthétique et signalétique du sol (voirie dynamique). De larges passages piétons inviteront à traverser la chaussée.
Ensuite, un "réenchantement de l’expérience de promenade" sera nécessaire. L’équipe de Jean-Noël Reinhardt évoque à cet égard une harmonisation des terrasses et contre-terrasses, la création d’une voûte végétale grâce à une double rangée d’arbres, ou encore l’aménagement de "salons végétaux" pourvus de bancs, de plantations, et de noues au sol permettant l’écoulement d’un ruisseau. Ces nouveaux espaces feront l’objet d’une programmation visant à combler le manque de diversité qui caractérise l’offre commerciale du secteur. Ils pourraient ainsi héberger, à titre d’exemple, de la restauration créative ou des "pop-up stores" exposant de façon éphémère des créateurs et des artisans français.
Faire champ libre entre l’Etoile et la Concorde
A chaque extrémité de l’avenue, les places de l’Etoile et de la Concorde font aujourd’hui office de véritables échangeurs routiers, marquant une rupture piétonne importante avec l’avenue de la Grande Armée d’un côté, et le parc des Tuileries de l’autre. La métamorphose des Champs-Elysées ne doit donc pas faire l’impasse sur ce point. Le plan "Réenchanter" reprend notamment le projet porté par la Mairie de Paris et le Centre des monuments nationaux qui suppose la création d’un centre culturel sous l’Arc de Triomphe. Le pourtour de la place, actuellement délaissé, sera converti en parcours piétonnier avec la création de six pavillons et jardins consacrés à différentes thématiques de "l’excellence française" : culture, gastronomie, artisanat d’art…
La place de la Concorde, quant à elle, fera l’objet d’un espace de circulation plus large et plus engageant pour permettre aux piétons de traverser le nœud routier. Un franchissement sera aménagé de l’autre côté, entre les jardins des Champs-Elysées et la Seine, de sorte à reconquérir les berges. De nouveaux équipements, notamment sportifs ou de loisir pourraient y être installés.
Une nouvelle scène pour la ville-lumière
Sur les Champs-Elysées, l’événementiel ne fait l’objet d’aucune programmation annuelle coordonnée, ce qui engendre la cohabitation de manifestations hétéroclites et sans cohérence thématique ou calendaire. Il s’agira donc de créer une véritable programmation concertée, à l’image d’une salle de spectacle, qui fera l’objet d’une communication dédiée. L’objectif est de créer des rendez-vous connus et lisibles. Le comité travaille également à l’élaboration d’un "plan lumière" qui inclut mais dépasse les seules illuminations de Noël. "Les Champs-Elysées doivent avoir pour ambition de devenir une référence dans l’art de la mise en lumière de son patrimoine", commente le comité, "en résonance avec son image historique de ville-lumière".
Si l’ensemble de ces perspectives portent sur le long terme, un certain nombre d’entre elles devraient se concrétiser avant le rendez-vous de Paris 2024. À l’occasion des Jeux olympiques, les Champs-Élysées deviendront une vitrine mondiale. Un lieu de compétitions, de célébrations, et d’installation pour les plateaux de télévision du monde entier. Au regard des violences dont son pavé a récemment été le théâtre, témoignage inédit de la désacralisation d’un lieu jusqu’ici consacré à la célébration et à la fête, l’avenue doit donc relever les défis qui lui ont été lancés. Pour Jean-Noël Reinhardt, les Champs-Elysées doivent devenir "le démonstrateur d’une ville plus durable, inclusive et résolument tournée vers l’avenir".