D'où vient le Grand Paris Express déjà ?

Stratégies urbaines
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De l’Orbitale de l’IAU au métrophérique de la RATP, en passant par l’Arc Express d’un certain Jean-Paul Huchon et la vision jacobine du duo Sarkozy/Blanc… Le Grand Paris Express tel qu’on le connaît aujourd’hui revient de loin. Son dessin – gabarit, technologie, tracé – a été ballotté de services en cabinets ministériels. Entre accaparement politique et appropriation par la technostructure, architectes et urbanistes ont tenté – et tentent encore – de se faire entendre.
Aujourd’hui, le Grand Paris Express est sur les rails – en dépit des récents reports de livraisons et des dérives de coûts -, porté par un "ancrage territorial si fort" qu’il est devenu impensable de ne pas le faire. C’est en tout cas ce que pense et écrit Pascal Auzannet, auteur du livre "Les secrets du Grand Paris" (1). Figure clé et multi-casquettes, cet ancien de la RATP et des cabinets ministériels (2) a suivi le serpent de mer durant de nombreuses années. Dans son ouvrage, il plonge le lecteur dans les méandres de la décision politique, entre débats et rapports de force, méthodes et stratégies, avec, en toile de fond, les impératifs techniques et temporels. Une épopée qu’il a pris soin de résumer en moins de deux heures aux journalistes de l’Ajibat, le 23 mars dernier. Pascal Auzannet dit tout ou presque, sans langue de bois.

Du tramway au métrophérique

L’histoire de Pascal Auzannet commence dans les années 90, marquées par une montée en puissance de la vision écologiste et d’une volonté accrue de "faire la ville sur la ville". Le politique ne jure alors que par le tramway. "Il ne fallait plus parler de métro", se souvient l’auteur. Trop cher, trop lourd, et synonyme d’étalement urbain. Orbitale, premier projet de métro automatique en rocade, est balayé d’un revers de main. Durant cette période, les développements d’Eole et de Meteor (ligne 14) absorbent une large partie des financements publics. Une desserte banlieue à banlieue est bien dans les cartons ; mais elle doit se faire par tramway. Nous sommes au tout début des années 2000.
Dans de pareilles conditions, on se demande encore comment la RATP a pu convaincre la puissance publique d’adhérer à son "métrophérique", version alpha du cœur de GPE (ligne 15). D’après Pascal Auzannet, la présidente de l’époque, Anne-Marie Idrac, a été "un déclencheur". Au lieu de présenter le projet comme un métro, "nous [la RATP] mettions en avant un argument urbain" : lutte contre l’étalement, densification autour des gares, etc. Une "tactique", reconnaît l’auteur, "mais nous y croyions tellement". Le projet prend forme dans les coulisses de la RATP. Et la presse ne tarde pas à s’en faire l’écho. C’est justement par cette voie que Jean-Paul Huchon notamment, alors président de la région Ile-de-France, et, accessoirement, financeur des transports, découvre ce qu’il rebaptisera le "métro féerique". "Et nous continuions, en ménageant Jean-Paul Huchon". L’auteur sourit.

La RATP se lance alors dans un exercice pédagogique – pour ne pas dire de lobbying – auprès des élus, en allant voir tous les territoires franciliens. A Paris d’abord, Pascal Auzannet et ses équipes se heurtent à un certain Denis Baupin, adjoint (Les Verts) au maire de la capitale, en charge des transports, et fervent défenseur du tramway. Tandis que "Pierre Mansat [adjoint (PCF) en charge de Paris Métropolesoutenait déjà le projet". La Régie des transports la joue fine et explique aux élus comment son métrophérique pourrait "désaturer la zone centrale", condition sine qua non d’une diminution pérenne de la voiture en ville.
Dans le Val-de-Marne, la RATP tombe sur des élus très coopératifs. Pascal Auzannet évoque, dans son livre,  "l’axe communiste-gaulliste". Ainsi, Christian Favier, président (PCF) du conseil départemental et président d’Orbival, et Jacques JP Martin, notamment secrétaire général de l’association,  marchent à 100 % pour la rocade ferrée. "Nous avons infiltré le département", se targue le narrateur. "Tout en laissant aux acteurs locaux le soin de s’arranger pour l’implantation des gares". Ils ont été efficaces, aux dires de Pascal Auzannet. Ce qui expliquerait en partie pourquoi les travaux du Grand Paris Express ont débuté sur ce territoire du sud-est parisien.

La Seine-Saint-Denis se montre moins accueillante, sa focale est dirigée sur le tramway et la Tangentielle Nord. La majorité des élus "ne voulaient pas entendre parler de rocade"
Dans les Hauts-de-Seine, le soutien est relatif, sans grande ardeur. L’arrivée tardive du GPE à l’ouest de la métropole est l’une des conséquences de ce manque de fédération politique, en déduit Pascal Auzannet.

La "méthode Blanc"

L’arrivée au poste ultime de Nicolas Sarkozy en 2007 propulse le supermétro dans une dimension politique forte, selon l’auteur. Un an environ après son élection, le président de la République missionne Christian Blanc, alors secrétaire d’État chargé du Développement de la région capitale. Et Pascal Auzannet de s’attarder sur la "méthode Blanc". Lui qui recevait "les élus dans le secret".
L’acte fondateur du Grand Paris Express, s’il ne devait y en avoir qu’un, serait le "discours de Nicolas Sarkozy du 29 avril 2009 à la Cité de l’architecture et du patrimoine". Discours "écrit par Guaino et Blanc", pour la petite histoire…
Après avoir été écarté du dossier Grand Paris par le président de la RATP Pierre Mongin, Pascal Auzannet est rappelé à la rescousse pour rejoindre l’équipe de Christian Blanc ; ce dernier "veut aller plus vite sur le tracé" ; il a besoin d’une équipe. Une mission de préfiguration est créée, c’est l’ancêtre de la Société du Grand Paris. Et le culte du secret, façon Blanc, fait toujours recette. L’auteur se souvient "des mails codés et des stations anonymes". Christian Blanc créait une certaine tension et verrouillait les informations pour "empêcher la spéculation foncière et contrôler la communication". D’ailleurs, le "grand 8", reliant les grands clusters, le fameux "tracé des riches", dont la presse a fait ses choux gras, n’a jamais existé selon Pascal Auzannet. En outre, Christian Blanc est "à l’initiative de la desserte Clichy-Montfermeil".

S’en suit une longue période de débats, entre les services techniques et les architectes, entre les architectes et les politiques. Puis les "échanges à l’Assemblée nationale ont été très durs". Blanc ne lâche rien. Les tensions entre la région et l’Etat restent vives. C’est, entre autres, pour sortir du clivage, que la SGP est créée, avec son modèle économique propre. Il fallait "réconcilier tout le monde". Et Christian Blanc ne pensait pas être "l’homme de la situation". Il démissionne en juillet 2010.
Maurice Leroy, alors ministre de la Ville (gouvernement Fillon), reprend le dossier, avec une approche "plus conviviale". Il crée le "club du Grand Paris", notamment.
En plein débat public, Jean-Paul Huchon, qui a lâché l’Arc Express, compense et présente son "Plan de mobilisation", défendant notamment les transports du quotidien.

Le tracé du Grand Paris Express évolue progressivement – Claude Bartolone, alors président (PS) de la Seine-Saint-Denis, se mobilise pour la création de la portion Est – jusqu’à la signature de l’accord "historique", selon Pascal Auzannet, du 26 janvier 2011. Les intentions se traduisent en chiffres : 211 km, 42 gares et 20 Md€ de budget. "Beaucoup de choses avaient été réglées". En 2012, Pascal Auzannet travaillait sur les calendriers et les coûts. Jouait des coudes pour obtenir des élus qu’ils livrent les besoins prioritaires réels de leurs territoires, afin de hiérarchiser et dimensionner plus précisément le projet. Du marchandage presque, certains ne voulant rien concéder. "Tout devait se faire avant 2025, c’était impossible !", revendique encore l’auteur aujourd’hui.

En roue libre pendant 5 ans

Aujourd’hui, le GPE compte 68 gares, bien identifiées, et son coût a explosé. "35 Md€, ce n’est pas normal". A qui la faute ? En (grande ?) partie à l’inertie politique du gouvernement Ayrault, "mal à l’aise sur ce projet initié par Sarkozy". Sans compter que le Premier ministre ne connaît pas très bien le dossier. Et que le sujet Grand Paris est à la charge de Cécile Duflot, farouche opposante. "Pendant cinq ans, l’Etat a laissé faire".

Depuis, les territoires se sont largement approprié l’affaire.

(1) "Les secrets du Grand Paris", de Pascal Auzannet ; 196 pages, Editions Hermann, 20 €.

(2) Pascal Auzannet est actuellement président de Ixxi,  filiale du groupe RATP spécialisée dans le développement de services d’aide à la mobilité. Il a suivi le développement de la rocade automatique pendant plusieurs années, à divers titres : en tant que directeur de développement à la RATP, directeur de la Mission de préfiguration du Grand Paris, et auteur de deux rapports sur le sujet pour les gouvernements Fillon et Ayrault. 

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